AUTOUR DE YAABA – OLIVIER BARLET ÉVOQUE IDRISSA OUEDRAOGO

Yaaba , qui connut un grand succès international, fut très critiqué par certains Africains et par la diaspora universitaire noire aux Etats-Unis. Il met en scène deux enfants, Bila et Nopoko, qui bravent les distances imposées par les adultes en se liant d’amitié avec une vieille femme exclue du village car soupçonnée de sorcellerie. Lorsque Bila traite une adulte de « garce », la vieille répond : « Ne juge pas, elle a ses raisons. » Le Malien Manthia Diawara voyait dans cette philosophie « une conception humaniste bourgeoise de la tolérance » et même « une sorte de libéralisme à la française ». Effectivement, répond le réalisateur, « le sujet du film est qu’on peut transformer les gens si on les écoute et aussi qu’il ne faut pas juger arbitrairement les choses. » Parcours initiatique de deux enfants qui apprennent à dépasser les préjugés, Yaaba appelle à un regard neuf sur le monde, dégagé des a priori idéologiques. Lorsque le Nigérian Nwachukwu Frank Ukadike le juge « élitiste et individualiste », se demandant s’il a « une vision claire du futur de l’Afrique » et s’il « éclaire vraiment les conflits sociaux », c’est bien à l’exigence d’un regard idéologique qu’il se réfère. Pourtant cette fiction parle elle aussi de la dignité de l’Afrique, comme le scande le Sénégalais Djibril Diop Mambety dans le rare commentaire qu’il colle dans Parlons Grand-mère (1989) sur ses images belles et personnelles du tournage de Yaaba : « Cinéma ou pas cinéma, grand-mère vengera l’enfant que l’on met à genoux ! » Idrissa Ouedraogo sera ainsi durement confronté aux reproches formulés sur le « cinéma calebasse », films de village supposés répondre à l’attente occidentale d’une Afrique immémoriale, qui ne pourraient rendre compte des enjeux urbains de l’Afrique contemporaine.

Idrissa Ouedraogo se démarquait du cinéma qui le précédait tout en répondant aux reproches : « Je n’ai aucunement la prétention de représenter mon peuple ou les valeurs africaines. On est facilement prétentieux en s’érigeant moniteur, instituteur… Pourquoi parler d’un cinéma africain qui se pervertit au gré des modes ? Quand on décide de faire de la fiction, on assume et on dit qu’on le fait pour soi, que ce n’est pas forcément un luxe, que cela peut permettre à la jeunesse africaine de rêver ! » Le cinéma est l’occasion d’interroger les origines: « L’Afrique n’inventera pas les thèmes. Ils sont préexistants ; ils appartiennent à l’humain. L’amour de deux enfants pour une grand-mère est universel, mais on n’en parlera pas de la même façon. »

Olivier Barlet